Si le cerf est bien le plus imposant et le plus majestueux de nos animaux
de forêt, le chevreuil en est le plus gracieux
Morphologie du chevreuil.
Ses dimensions modestes (0,60 m à 0,75 m de hauteur au garrot, 1,20 m à
1,40 m de longueur) n'enlèvent rien, cependant, à la fierté qui est l'apanage
des mâles de l'espèce. Ceux-ci, bien plantés sur leurs pattes fines et
nerveuses, portent haut, à la moindre alerte, une tête au front bombé et au
museau court.
Le poids du chevreuil peut varier entre 15 et 26 kg, selon qu'il est de
plaine ou de montagne. Races de plaine et races de montagnes se croisent
d'ailleurs parfaitement, pour la meilleure perpétuation de l'espèce.
Son pelage, qui est roux ardent pendant l'été, devient gris-brun pendant
l'hiver. Encore faut-il noter que cette coloration n'est vraie que pour
l'ensemble de la fourrure car les différentes parties du corps sont diversement
teintées, variant du gris clair au gris foncé, comme du blanc (menton) au noir
(bout du museau).
Une tache jaune clair presque blanche orne la partie postérieure de
l'animal, sous la queue, ou, plus exactement, sous l'embryon caudal: cette tache
claire est bien connue des jeunes chasseurs, qui la désignent sous le nom de
serviette. Cette serviette, bien mal placée à la vérité, est la roze, en bon
langage de vènerie. La serviette, chez le chevreuil, n'est portée que par
quelques vieux sujets et est représentée par une tache claire et ovale sur le
poitrail, à la base du cou.
La denture du chevreuil comporte trente-deux dents, la mâchoire inférieure
porte six incisives, la mâchoire supérieure en est totalement dépourvue.
Les bois du mâle, du brocard, se développent sur des pivots, comme ceux du
cerf, et obéissent aux mêmes règles de croissance.
Vers le sixième mois, c'est-à-dire vers le mois de novembre, les bosses
apparaissent sur la tête du jeune faon, qui devient ainsi chevrillard.
A un an, le chevrillard, devenu brocard, porte deux petites dagues ou
broches (Ces petites dagues portent aussi le nom de broques, d'où l'orthographe
broquart, qui est aussi souvent employée que l'orthographe brocard.), mais sans
meules.
La deuxième tête a une petite meule, le bois est déjà creusé de gouttières,
il a aussi deux andouillers et parfois, dans de bonnes conditions étiologiques,
un embryon plus ou moins développé du troisième andouiller.
La troisième tête a une plus grosse meule, mais moins longue, le bois a
trois andouillers.
La quatrième tête, la cinquième tête continueront à porter six, le nombre
des pointes n'augmentera plus, les perlures deviendront plus abondantes, les
gouttières plus profondes, les meules tendront à se rapprocher jusqu'à paraître
soudées l'une à l'autre.
Le brocard, par ses bois, marque daguet ou marque six cors. La
détermination de l'âge d'un chevreuil par sa tête est donc chose peu facile: les
dimensions et la hauteur des meules, les perlures, les pierrures sont toutefois
des indices, mais encore bien incertains. D'autant que les têtes bizardes, chez
le chevreuil, sont fréquentes, elles sont le résultat de blessures, de maladies
ou de famines dans les hivers rigoureux.
Le brocard met bas sa tête en novembre, la refait au cours de l'hiver et «
touche au bois » en avril-mai.
Le chevreuil peut vivre jusqu'à quinze ou seize ans.
Moeurs du chevreuil.
La femelle, la chevrette, met bas vers le début de mai, elle se cache
soigneusement dans les tailles les plus épaisses et les plus tranquilles. La
première portée, qui ne comprend généralement qu'un seul individu, est
représentée le plus souvent par un faon femelle. Dès la seconde, la chevrette
peut mettre bas deux faons (en général un mâle et une femelle), et c'est là le
plus souvent la règle jusqu'à ce que la chevrette, en raison de son âge,
devienne stérile. Quelques chevrettes, déjà âgées, mais en parfait état
physiologique, peuvent avoir trois petits. Ce chiffre n'a pas été, à notre
connaissance, dépassé, bien que Gaston Phébus ait prétendu avoir tué une
chevrette avec cinq faons dans le corps.
La mère ne quitte pas ses jeunes faons pendant les premiers mois de leur
naissance, où elle les allaite avec la plus grande douceur. Elle ne les quittera
pas davantage au moment des amours.
Le rut a lieu du milieu de juillet au milieu d'août, et la durée de la
gestation, en dépit des quelques polémiques qu'elle a soulevées, doit être bien
arrêtée à neuf mois.
Brocard, chevrette et le ou les chevrillards ne se quitteront pas de tout
l'hiver, il est donc bien exact de dire que le chevreuil vit en famille.
Au mois de mars, cette vie patriarcale cesse le plus souvent. Avec ce mois
commence une période d'excitation pour le brocard, qui coïncide avec la
terminaison de sa tête. Cette excitation, causée peut-être aussi par l'apport
d'une nourriture plus substantielle offerte par les jeunes bourgeons, pousse les
mâles à abandonner femme et enfants. C'est le moment où on les voit seuls, errer
un peu à l'aventure, quitter leurs gagnages préférés et ne pas hésiter même à se
rapprocher des habitations.
L'époque du rut met fin à ce dévergondage extra-familial, sans que l'on
puisse affirmer, comme l'ont fait si souvent les auteurs du xixe siècle, que le
brocard retourne vers sa chevrette de l'année précédente.
Qu'on ne prétende pas davantage que le chevreuil est monogame, s'il l'est,
il l'est, selon toute vraisemblance, par nécessité, comme, par exemple, dans les
grands massifs boisés où l'espèce est peu représentée. Dans les domaines vifs en
chevreuils, et plus particulièrement à Rambouillet où le nombre de chevrettes
était supérieur à celui des brocards, les femelles stériles étaient la plus
stricte exception. Nous pensons donc fermement que l'égalité du nombre des mâles
et des femelles n'est pas à rechercher systématiquement: la supériorité du
nombre des femelles ne peut en aucun cas nuire au repeuplement d'une chasse, et
il faut bien s'en persuader.
Que le brocard polygame ait parmi ses chevrettes une épouse de
prédilection, vers laquelle il retournera après la saison du rut et jusqu'en
mars, c'est probable, voire certain, les épouses qu'il néglige à ce moment s'en
consolent, à ce qui semble, assez facilement. Le propriétaire de chasse, qui ne
voit que l'accroissement de son cheptel, n'a que faire de telles contingences.
Quant aux jeunes faons, nés en mai, et qui ont un pelage roux sillonné par
des rangées de taches blanches, ils vont perdre progressivement cette livrée à
l'entrée de l'hiver pour prendre leur pelage d'hiver, qui est gris comme celui
des adultes. Vers huit ou neuf mois, alors qu'ils sont encore chevrillards, ils
s'éloignent progressivement de leur mère pour la quitter définitivement au
moment de la mise bas.
Dès la période de rut qui suit cette prise de liberté, ils participent
effectivement à la saison des amours. Il n'est pas rare, sans que ce soit une
règle absolue, qu'il y ait union du frère et de la soeur, ces alliances
strictement consanguines donnent, à notre connaissance, des produits
parfaitement constitués.
,
Les habitudes du chevreuil.
Le chevreuil se plaît aussi bien en plaine qu'en montagne, où on le
rencontre jusqu'à 2000 m d'altitude. S'il s'accommode des grands massifs boisés,
il préfère les lisières de ceux-ci ou des bois moins étendus: il aime, en effet,
à viander dans les cultures et surtout dans les prairies au cours de la belle
saison.
Il est particulièrement nombreux en Alsace, en Lorraine, en Bourgogne, en
Touraine, en Bretagne, en Vendée, dans le Maine et dans l'Orléanais, il est
encore abondant dans toute l'Ile-de-France, il est devenu très rare dans le
Plateau central, en Provence, où il a été trop détruit, il subsiste enfin dans
quelques points des Landes.
Le chevreuil a les sens très développés, l'ouïe plus particulièrement, son
odorat est très fin et lui permet d'éventer l'homme à 200 ou 300 m. Sa vue, pour
encore excellente qu'elle soit, passe pour être moins bonne que celle du cerf.
Il ne décèle pas facilement le chasseur si ce dernier demeure immobile, mais il
se rendra compte aussitôt du moindre de ses mouvements.
Le chevreuil aime, en général, les jeunes taillis, mais ses habitudes
varient avec les saisons: en été, ce seront les fourrés ou les taillis épais,
voire des vallons marécageux, où quelques places surélevées lui assureront un
gite convenable, en hiver, ce seront des gaulis d'épicéas ou de pins ou de
jeunes tailles, qu'il choisira sur un versant exposé au midi.
Sa nourriture est variée. Pendant la belle saison, il va viander dans les
cultures avoisinantes, où il préfère les prairies artificielles et naturelles
aux cultures de céréales, il se nourrit aussi volontiers en forêt, il y
recherche les jeunes pousses de sapin, d'épicéa, de chêne, d'érable, mais il
s'attaque très rarement à l'écorce.
En hiver, il mange les bourgeons des arbres, la bruyère, l'airelle, le
genêt, mais sa préférence va surtout aux feuilles de ronce, de framboisier et de
lierre, qui constituent en quelque sorte le fond de sa nourriture hivernale. Il
est également friand de glands, de faines, de poires et de pommes sauvages, de
gui et de baies de genévrier, toutes les fois qu'il peut en rencontrer.
Le chevreuil est donc beaucoup plus gourmet que le cerf, il recherche, par
une dilection bien établie, les brins ou les herbes les plus tendres, il évite
ou fuit les prairies souillées par les lapins de garenne, en particulier. S'il
est gourmet, il n'est pas un glouton, il préfère la qualité à la quantité et, à
ce titre, le chevreuil constitue un animal peu déprédateur.
Les chevreuils vont au gagnage toute la journée, mais plus souvent au début
ou à la fin du jour. Ils affectionnent les clairières de la forêt ou les
prairies qui l'avoisinent. S'ils sortent en troupe, c'est le brocard qui sort du
bois le dernier.
Le chevreuil est aussi méfiant que peureux et, s'il est dérangé, il ne
sortira pour viander que la nuit, jusqu'à ce que la cause de ses alarmes ait
disparu.
Les vieux brocards allient à cette méfiance une ruse remarquable, ils
vivent
seuls (comme les vieilles chèvres stériles), dans les endroits les plus
reculés, s'ils se trouvent, malgré eux, en présence du chasseur, ils savent
ruser avec lui dans des conditions presque toujours défavorables à ce dernier.
Le pied et les allures du chevreuil.
Le pied du chevreuil a, toutes proportions gardées, beaucoup d'analogies
avec celui du cerf, il est cependant plus allongé, plus pointu, et l'éponge est
plus développée. Chez le mâle, le pied est également plus rond, mais il n'en est
pas moins délicat de le discerner de celui d'une femelle, il faut un revoir
exceptionnel pour ne pas se tromper en une matière aussi difficile, qui n'offre
cependant, en soi, qu'une importance relative, puisque la chevrette a le
glorieux et périlleux privilège d'être considérée comme animal de vènerie.
Plus importantes, peut-être, pour la connaissance de l'animal de chasse
sont les transformations subies par le pied au cours d'une chasse. Le Coulteulx
de Canteleu, dont les ouvrages font encore autorité, les a remarquablement
relevées :
Au lancer, les pinces s'écartent légèrement et les os sont peu marqués,
Après une heure de chasse, le chevreuil commence à appuyer sur le talon,
les pinces s'écartent davantage et les os portent plus fortement en terre,
A la fin de la chasse, l'animal, qui marche les jambes raides, pique sur
l'extrémité de ses pinces, qui se sont resserrées, les os ne marquent plus.
Les modes de chasse du chevreuil sont variés: on le
chasse à courre, en battue, à l'approche, à l'affût, à l'appeau.